Matteo Salvini lors d’une conférence de presse dans la Chambre des députés, à Rome, le 25 juillet. / YARA NARDI / REUTERS

Il est arrivé, vendredi 9 août, en fin d’après-midi, sous les applaudissements des touristes rassemblés devant sa résidence de La Maddalena, dans le sud de la Sardaigne. Le président de la République italienne, Sergio Mattarella, a bien mérité de souffler quelques jours et de s’isoler de l’étouffante crise politique de la péninsule. Mais sa retraite surprise a envoyé aussi un message à Matteo Salvini, celui d’une résistance passive face à l’homme responsable du chaos actuel.

En appelant, la veille au soir, les Italiens à revenir aux urnes, puis, en annonçant, vendredi, le dépôt d’une motion de censure contre son propre chef de gouvernement, le ministre de l’intérieur et vice-premier ministre a ouvert une séquence politique où la marche forcée semble être l’un de ses moteurs. « L’Italie est un pays qui doit courir », a t-il d’ailleurs lancé dans une formule révélatrice sur la Rai, interrogé à l’issue d’un nouveau bain de foule en bord de mer, dans les Pouilles cette fois.

Si depuis plusieurs mois le chef de la Ligue (extrême droite) est incontestablement devenu l’homme fort du pays, il assume depuis quarante-huit heures la posture du « seul contre tous ». Fort de son insolente confiance en lui et du soutien populaire dont il bénéficie, M. Salvini entend ainsi conforter sa stature d’homme providentiel, capable de rendre aux Italiens leur fierté. Sa détermination lui donne des ailes, au risque de déraper. Jeudi soir, le leader d’extrême droite demandait aux Italiens « les pleins pouvoirs », une formule qui ne peut être neutre dans la péninsule, quand on sait que Mussolini a employé la même en novembre 1922, juste avant de prendre la tête du pays.

Un « gouvernement du bien commun »

Si rien n’est encore figé, une étrange coalition hétéroclite d’opposants au ministre de l’intérieur semble désormais se dessiner, rassemblant aussi bien des membres du Parti Démocrate (PD, gauche) que des Radicaux (RI, social-libéralisme) et des élus du Mouvement 5 étoiles (M5S, anti-système). Pour des raisons différentes, chacun a besoin aujourd’hui de repousser Matteo Salvini.

Au sein du PD, Dario Franceschini, l’ancien ministre de la culture de Matteo Renzi n’a pas caché son vœu de s’allier, temporairement du moins, aux M5S pour éloigner le péril de la Ligue seule au pouvoir. Dans le parti de Beppe Grillo, dont les jours sont comptés, d’étranges mécanismes de survie se mettent en place, alimentés probablement par la perspective peu motivante de disparaître du paysage politique. Pour contrer M. Salvini, le député sicilien Stanislao di Piazza a ainsi soufflé l’idée d’un « gouvernement du bien commun », qui intégrerait aussi bien des M5S que des démocrates ou des proches de Silvio Berlusconi et permettrait de voter un budget d’ici la fin de l’année.

Dans les rangs du Parti démocrate, le chef des sénateurs souhaite que la motion que de censure déposée contre M. Salvini pour les financements présumés russes à la Ligue soit inscrite au calendrier avant celle qui sera débattue et qui vise le président du conseil italien Giuseppe Conte (M5S).

Le repoussoir de toute la classe politique

Si le Milanais est devenu en trois jours le repoussoir de toute la classe politique, c’est néanmoins des rangs du Mouvement 5 étoiles que les attaques à son encontre sont les plus virulentes. « Salvini a décidé en une journée de déchirer le contrat de gouvernement, les Italiens ne méritaient pas cette trahison », a tonné le ministre de la justice Alfonso Bonafede, un des fidèles lieutenants de Luigi Di Maio, le dirigeant du M5S.

Le ministre de l’intérieur sait parfaitement jouer le rôle de punching-ball qui conforte sa stature auprès de ses partisans. Dans cette séquence, malgré les incertitudes du calendrier, M. Salvini prend un malin plaisir à nommer ses adversaires pour mieux s’en démarquer. Parmi ses cibles favorites, l’ancien président du conseil Matteo Renzi, qui incarne selon lui la faillite de la gauche pro-européenne. Exit Nicola Zingaretti, l’actuel secrétaire général du PD et gouverneur du Latium, dont le charisme est moindre. En tapant sur l’ancien maire de Florence, Matteo Salvini s’est trouvé l’ennemi parfait, esclave selon lui des diktats venus de Bruxelles.

Cette Europe qu’il ambitionne de transformer est devenu un obstacle majeur pour le chef de la Ligue. « Si vous nous en donnez la force, nous voterons un budget qui mettra au centre le travail des Italiens et la baisse des impôts, et si cela ne convient pas à l’Europe nous le ferons quand-même », a t-il répété vendredi soir lors de son dernier meeting.

Ces dernières heures les promesses du patron de la Ligue n’ont pas néanmoins rassuré les marchés financiers, loin s’en faut. La bourse de Milan a perdu 2,48 %, avec de grosses chutes des titres des banques et le spread – l’écart des taux d’intérêts italien et allemand sur dix ans – a pris 30 points dans la journée, bondissant à 241.

Lundi devrait être une nouvelle journée de joutes et d’intrigues politiques. Les chefs de groupes parlementaires se retrouveront autour de la présidente du Sénat, Maria Elisabetta Casellati, pour s’accorder sur la date à laquelle sera discutée la motion de censure contre le gouvernement. Au même moment, Matteo Salvini poursuivra son cavalier seul à la chambre des députés, entourés de tous les parlementaires de la Ligue, afin de peaufiner sa stratégie.