Manifestation des personnels de l’hôpital, à Paris, le 11 juin. / AURORE MESENGE / AFP

Editorial du « Monde ». Il y a un mois, le vendredi 12 juillet, Agnès Buzyn a dû quitter précipitamment l’hôpital de La Rochelle, poursuivie par des urgentistes en grève. La ministre de la santé, qui connaît bien l’hôpital pour y avoir exercé son métier de médecin, était venue afin de mesurer l’ampleur de la colère des personnels des urgences. Elle a été servie. Le 2 août, à Verneuil-sur-Seine (Yvelines), elle a dû reconnaître qu’elle était face à « une crise qui persiste ». Cinq mois après le début du mouvement, déclenché après une série d’agressions à l’hôpital parisien Saint-Antoine, ce sont désormais 216 services d’urgences dans le public en France, sur 478, qui sont en grève.

Loin d’être freinée par les annonces de la ministre en juin – 70 millions d’euros pour financer des mesures immédiates permettant notamment la revalorisation de la prime de risque des soignants –, la fronde n’a cessé de s’étendre. Les grévistes réclament toujours 10 000 emplois supplémentaires, une hausse des salaires de 300 euros net par mois et l’arrêt des fermetures de lits.

Dans un pays où les urgences tentent de pallier les conséquences désastreuses de la désertification médicale, la grève est populaire. Il est vrai qu’elle prend des formes particulières, les urgentistes arborent un brassard à la japonaise pour indiquer qu’ils sont… en grève, mais ils continuent à assurer les soins. Ils respectent les obligations fixées par la loi, ce qui est à leur honneur.

L’épisode qui s’est produit, début juillet, où, lors d’une manifestation nationale à Paris, une douzaine de soignants se sont injecté un produit présenté comme de l’insuline devant le ministère de la santé, ne s’est pas répété. Pour accentuer la pression, certains ont eu recours à des arrêts maladie, mais ce phénomène est resté marginal. Souvent à bout devant l’impossibilité de se faire entendre – « nous sommes réputés endurants aux urgences », a assuré Hugo Huon, le président du collectif d’Inter-Urgences –, les urgentistes n’ont pas cédé à la tentation de la radicalisation, pourtant dans l’air du temps.

Une situation intenable

Est-ce parce que cette « grève sans grève » semble indolore, voire invisible, que le gouvernement paraît s’en accommoder ? Est-ce parce qu’il n’y a pas eu d’incident majeur, d’accident, y compris lors de la récente séquence caniculaire, que le ministère de la santé n’apporte pas de réponse à la hauteur de cette colère qui monte ?

Pourtant, on ne découvre pas, en 2019, la détresse des urgences, confrontées à une forte hausse de la demande, avec un cruel manque de moyens et une pénurie criante de médecins : alors que des patients expriment parfois de façon violente leur impatience et leur mécontentement, la population prise en charge aux urgences est passée, entre 1996 et 2016, de 10 millions à 21 millions. En 2018, selon SAMU-Urgences de France, 180 000 patients ont passé une nuit sur un brancard dans les couloirs des services destinés à les accueillir. Et cette situation intenable ne fait que s’aggraver durant l’été.

Mme Buzyn excelle dans l’art de manifester sa compassion. « Il y a une nécessité de repenser l’organisation des systèmes de santé », a-t-elle souligné récemment. Une mission chargée de proposer une stratégie pour « adapter nos urgences aux nouveaux besoins de santé » doit rendre ses premières recommandations à la fin de l’été. L’heure n’est plus aux belles paroles. Plutôt que de jouer la guerre d’usure, il y a urgence à poser des actes pour trouver une issue à la crise avant que des drames ne surviennent.