Relevé d’empreintes digitales sur un corps non identifié à la morgue de Johannesburg, le 3 mars 2019. / GUILLEM SARTORIO / AFP

« Femme noire adulte », « Homme blanc adulte ». Comme chaque mois, dans le cimetière d’Olifantsvlei, près de Johannesburg, les pompes funèbres enterrent de modestes cercueils contenant des cadavres anonymes. Quarante-six corps qui ont passé jusqu’à trois mois à la morgue, sans que personne ne vienne les identifier, sont extraits d’un camion frigorifique par des agents en combinaison blanche et gants bleus. Hâtivement et sans cérémonie, les cercueils sont empilés par trois ou quatre dans des trous fraîchement creusés, profonds de trois mètres.

Une tâche routinière en Afrique du Sud : dans les morgues encombrées de Johannesburg, un cadavre sur dix n’est jamais identifié. « C’est un chiffre incroyablement élevé : 1 000 personnes décédées ne sont pas identifiées chaque année dans la seule province de Gauteng », la plus peuplée du pays, où se trouve Johannesburg, souligne le professeur Jeanine Vellema, qui dirige l’institut médico-légal de l’université Wits de Johannesburg, supervisant les onze morgues publiques du Gauteng.

Selon elle, ces corps seraient majoritairement ceux d’immigrés clandestins. L’Afrique du Sud, première économie du continent, est vue comme un eldorado par des centaines de milliers de migrants.

Tatouages, scarifications, cicatrices

Chaque semaine, une équipe de l’université Wits se consacre pendant deux jours à tenter de rendre une identité à ces morts anonymes. Dans la morgue de Hillbrow, à Johannesburg, des volontaires sortent ainsi un corps de la chambre froide, le transportant sur un brancard, laissant derrière lui une mince coulée de sang. Direction une pièce où, pendant plusieurs heures, tous les indices pouvant aider à l’identifier vont être méticuleusement recueillis : empreintes digitales et dentaires, tatouages, scarifications tribales, cicatrices…

Mais s’il s’agit d’un immigré clandestin, il est problématique de confronter ces données à une documentation officielle. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) aide donc l’Afrique du Sud à comparer les éléments collectés avec des informations sur des personnes considérées comme disparues dans des pays voisins, comme le Zimbabwe et le Mozambique.

« Un cadavre non identifié ne nous révèle pas grand-chose sur son origine », reconnaît Stephen Fonseca, un expert médico-légal travaillant avec le CICR. Et « la morgue n’est pas extensible, c’est vraiment dur pour les autorités locales de gérer le nombre de corps qu’elles reçoivent », poursuit-il. Les volontaires de l’université parviennent néanmoins à identifier quelque 40 % des corps de la morgue de Hillbrow qui leur sont confiés, sur un total d’environ seize par mois. « C’est un très bon taux de réussite », assure Trish-Jean Mahon, membre de l’équipe médico-légale : « Quand le projet a été lancé, nous avions peur de ne pas arriver à en identifier un seul ! »

Plus de cinquante homicides par jour

La plupart des cadavres sont des victimes d’accidents ou de meurtres, dépourvus de papiers d’identité ou munis de faux documents, dans un des pays où le taux d’homicides est le plus élevé au monde : 57 par jour, alors que l’Afrique du Sud compte 57 millions d’habitants.

Loin de Johannesburg, dans la province de Mpumalanga, frontalière du Mozambique et de l’Eswatini (ex-Swaziland), une famille zimbabwéenne a ainsi retrouvé l’un des siens, Sampinya Ndou, 58 ans, parti quarante-cinq ans plus tôt travailler dans une ferme. Mais deux autres membres de la famille, qui ont aussi migré en Afrique du Sud dans les années 1970, n’ont pas pu être retrouvés, en dépit des efforts du CICR. Ils pourraient se trouver parmi les milliers de cadavres anonymes enterrés chaque année.

« Je m’attends à tout, que mon frère et mon autre oncle soient morts ou vivants », confie le neveu de Sampinya Ndou, Samson, qui a parcouru plus de 700 km depuis son village de Dite, dans le sud du Zimbabwe, à la recherche des membres de sa famille. « Qui peut savoir s’ils sont encore de ce monde ? Tout ce qu’on peut faire, c’est attendre. »