Editorial du « Monde ». Deux logiques s’affrontent à Hongkong : celle d’un régime chinois autoritaire, qui a décrété, le 5 août, la reprise en main de sa région administrative spéciale, et celle d’un mouvement fluide et informel, que chacune des violations des droits pour lesquelles il se bat propulse dans un nouveau cycle de protestation qui s’ajoute aux revendications initiales. L’aéroport de Hongkong, occupé par les manifestants, est la scène d’un nouvel acte de ce mouvement historique né le 9 juin. La confrontation qui se joue désormais, sous forme de guerre d’usure, est inédite. Les manifestants s’opposent à la fois à leur gouvernement hongkongais et à la puissance tutélaire chinoise.

Le signal du raidissement de Pékin a été donné par un éditorial en « une » du Quotidien du peuple, le 5 août, qui a stigmatisé un petit groupe d’« extrémistes violents », pour ignorer les 2 millions de citoyens descendus dans la rue pour dire non au projet de loi d’extradition vers la Chine, dénoncé pour ce qu’il est : le viatique d’une emprise croissante de Pékin sur Hongkong.

Le pouvoir chinois a déroulé sa contre-offensive lors d’une réunion de crise à Shenzhen, sous l’autorité de Zhang Xiaoming, le chef de l’agence gouvernementale chinoise chargée de Hongkong : le mouvement est une « révolution de couleur », c’est-à-dire une entreprise de déstabilisation de la Chine soutenue de l’étranger. L’appui de Pékin à la police et au gouvernement sera sans faille. Les « patriotes », députés prochinois et hommes d’affaires, ont été priés de rentrer dans le rang, sous peine de subir de graves conséquences, à l’instar de la compagnie aérienne Cathay Pacific.

L’heure n’est plus aux négociations

L’ordre a été donné à la police, mais aussi à l’appareil judiciaire, de sévir en usant, cyniquement, des lois coloniales toujours en vigueur contre les « émeutiers » (dix ans de prison). L’heure n’est plus aux négociations : Zhang Xiaoming a rejeté tout retrait de la loi d’extradition, et aucune concession ne sera faite face aux autres revendications des manifestants.

Le déploiement de forces supplémentaires en provenance de Chine continentale continue d’être brandi comme une menace. La presse chinoise a montré le déploiement à Shenzhen, à la frontière avec Hongkong, d’unités mobiles de la police armée du peuple, formellement rattachée à l’armée, et qui dispose de diverses de forces (antiterroristes, spéciales, antiémeutes) pouvant répondre aux objectifs énoncés de retour à l’ordre. Parallèlement, les arrestations continuent, désormais supérieures à 500 personnes.

A deux semaines du record de durée du « mouvement des parapluies » (79 jours en 2014 contre 66 aujourd’hui), qui demandait une élection au suffrage universel pour le chef de l’exécutif hongkongais, la « révolution de notre temps », comme la célèbrent les graffitis à travers Hongkong, est à une étape critique.

Les sondages montrent qu’une grande partie de la population soutient les cinq demandes initiales des manifestants et dénonce les violences policières. Comme atout, le mouvement compte sur sa fluidité, son absence de dirigeant identifiable et le recours aux réseaux sociaux pour témoigner par des images de chaque violation des droits. Alors que jamais la subordination du pouvoir de Hongkong à Pékin n’était apparue aussi clairement, « Hongkong n’est pas la Chine » est l’un des slogans des manifestants les plus présents : la tentative de reprise en main et les menaces de Pékin ont encore aggravé la frustration des Hongkongais de n’avoir pas leur mot à dire pour choisir ceux qui les dirigent.