Les montagnes du Tibesti, au Tchad. / Michael Kerling / Creative Commons

Tribune. En ce mois d’août, alors que dans l’indifférence générale les éléments des Forces armées tchadiennes semblent se préparer à lancer un nouvel assaut sur la localité de Miski, nous choisissons une fois de plus d’appeler le gouvernement tchadien au dialogue et à la raison.

Miski est une petite localité du Tibesti, située dans la sous-préfecture de Yebibou. Les forces armées tchadiennes l’encerclent depuis fin 2018, après en avoir été délogées par les combattants du Comité d’autodéfense créé localement. Ce blocus constitue une autre forme de guerre que le régime impose à la population afin de l’asphyxier et de l’affamer. L’ensemble des routes d’accès à la localité étant coupées et surveillées par l’armée, on peut d’ores et déjà parler de famine planifiée et, si rien n’est fait rapidement, il s’agira d’un nouveau crime de guerre perpétré par le régime.

Une région réputée rebelle

Le nord du Tchad est une région isolée et désertique, les conditions de vie y sont rudes. C’est pourtant dans cet espace de déserts et de montagnes que nous vivons depuis des siècles. La population est peu nombreuse et vit modestement des ressources de l’élevage et de l’agriculture, pratiquée dans les oasis. Depuis l’indépendance, elle a continuellement eu à souffrir de la guerre.

Le rejet des errances de régimes despotiques peu soucieux du bien commun nous a amenés à combattre la brutalité du pouvoir central à de maintes reprises. Notre région a également été victime du jeu des puissances. Occupée par l’armée libyenne de Kadhafi, elle a été le théâtre d’affrontements sanglants durant plusieurs décennies, avant le retrait des forces étrangères. Elle s’est enfin insurgée durant des années contre un pouvoir injuste, pourtant issu du nord du pays, qui, connaissant l’esprit de justice des populations toubou, tentait de les réprimer dans le sang pour assurer aux dignitaires du régime le contrôle exclusif du pouvoir.

Entre guerres étrangères et guerres civiles, le Tibesti n’a donc connu aucun développement depuis l’indépendance, à l’exception des rares infrastructures construites dans le cadre de la réhabilitation du Borkou-Ennedi-Tibesti après le départ de l’armée libyenne. Réputée rebelle, la région n’a pas non plus bénéficié des retombées financières de la production pétrolière, englouties dans la gestion familiale du pouvoir à N’Djamena.

Mensonges des autorités

Depuis moins de dix ans, notre région s’est pourtant révélée riche d’un métal très convoité : l’or. Ces ressources aurifères semblant immenses, la zone de Miski a attiré bien des convoitises. Et une population toujours plus nombreuse, composée de Tchadiens et d’étrangers, y est venue chercher fortune. Avec les orpailleurs, principalement sous le contrôle des proches du régime, sont venues les menaces de pollution des nappes phréatiques et les risques de destruction de notre cadre de vie.

Les habitants de Miski ne se sont pourtant pas opposés à une exploitation de l’or, à condition qu’elle soit assurée de manière concertée, dans un cadre légal, et qu’elle ne soit pas synonyme de destruction d’un environnement déjà très fragile ou d’un déplacement forcé de la population. Prête au dialogue, s’étant organisée en comité local pour pallier l’absence des autorités et poser des limites à l’anarchie minière, la communauté a dû faire face aux mensonges des autorités et aux sanctions collectives.

Devant la résistance des habitants aux appétits de ses proches, le président a finalement choisi d’envoyer, l’année dernière, ses meilleures unités pour réprimer nos aspirations. Après avoir occupé par la force notre localité, elles ont dû se retirer en désordre, avec des pertes importantes. Nous le déplorons car nous ne souhaitons pas la mort de nos frères tchadiens.

Nous sommes assiégés et menacés d’une nouvelle occupation. La circonscription administrative du Tibesti a été démembrée et nos chefs de cantons ont été démis de leurs fonctions. En dépit de ces méthodes que nous réprouvons, nous avons demandé une médiation au travers d’une ONG internationale connue de N’Djamena. Cette structure a bien informé les autorités, et en particulier le ministre de la défense et de la sécurité, de notre souhait de rechercher par le dialogue des solutions négociées qui préservent l’intérêt de tous. En vain.

Planification d’un conflit

En contradiction avec ses déclarations visant à lutter contre l’orpaillage illégal dans la région du Tibesti, le gouvernement tchadien, au travers des services du ministère de la défense et de la sécurité, a de nouveau recruté des orpailleurs, en grande partie des civils, ces derniers mois. Il a mis à leur disposition des appareils d’orpaillage sophistiqués et des armes, les autorisant, contre paiement d’une taxe illégale, à franchir les postes des bérets rouges postés autour de la localité et à envahir Miski. Il entend ainsi opposer les membres du Comité d’autodéfense à d’autres civils tchadiens. Nous dénonçons cette planification d’un conflit intercommunautaire et appelons une fois de plus le président Idriss Deby à la raison.

Nous lançons un appel à la communauté internationale pour qu’elle intervienne auprès du régime, dans le but d’obtenir la démilitarisation de la zone et l’ouverture de corridors humanitaires. Nous réitérons enfin notre proposition d’en passer par une médiation neutre et indépendante et notre souhait de trouver une solution qui ménage notre cadre de vie et les intérêts du pays tout entier.

Ahamat Molikini et Molly Sougui, pour le Comité d’autodéfense de Miski.