A Kassel (Hesse), le 13 juin, lors des funérailles de Walter Lübcke, préfet de l’arrondissement, tué d’une balle dans la tête par un néonazi. / SWEN PFORTNER / AFP

Editorial du « Monde ». L’Allemagne avait été stupéfaite en apprenant la mort, le 2 juin, de Walter Lübcke, préfet de l’arrondissement de Kassel (Hesse), tué d’une balle dans la tête sur sa terrasse. Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes proches de l’extrême droite s’étaient réjouis de la disparition de ce chrétien-démocrate de 65 ans qui, en 2015, avait résolument soutenu la politique d’accueil des réfugiés décidée par Angela Merkel. Un suspect est aujourd’hui en détention provisoire : il s’agit d’un néonazi de 45 ans déjà emprisonné dans les années 1990 pour avoir fait exploser une bombe devant un foyer d’étrangers.

Deux mois après ce drame, il apparaît clairement que ce n’était pas un simple fait divers. Selon un décompte provisoire du ministère allemand de l’intérieur, dévoilé mardi 13 août par le quotidien Der Tagesspiegel, 8 605 crimes et délits attribués à l’extrême droite, dont 363 actes violents, ont été enregistrés au premier semestre de 2019 (soit 10 % d’augmentation par rapport à 2018). Depuis la mort de Walter Lübcke, plusieurs élus locaux connus pour leur soutien aux réfugiés ont fait savoir qu’ils avaient reçu des menaces de mort.

Les violences d’extrême droite n’ont rien de nouveau outre-Rhin. L’attentat le plus meurtrier commis depuis la guerre a été perpétré par un néonazi lors de la Fête de la bière de Munich, le 26 octobre 1980 (13 morts, 211 blessés). Avant l’accueil des réfugiés en 2015, le nombre de crimes et délits politiques s’établissait déjà à plus de 5 000 par an, ce qui démontre que le phénomène a des racines plus profondes qu’une réaction à la politique d’Angela Merkel. Mais l’augmentation continue des violences prend inévitablement une dimension particulière en Allemagne, compte tenu de l’histoire du pays et de la « responsabilité » dont se réclament volontiers ses dirigeants.

Sentiment d’impunité

Beaucoup de temps a été perdu ces dernières années. Les services de renseignement ont, à l’évidence, sous-estimé le phénomène. Quant à la justice, sa lenteur à condamner les coupables a contribué, à n’en pas douter, à donner aux bras armés de la terreur brune un dangereux sentiment d’impunité.

Par rapport à nombre de ses voisins, l’Allemagne a longtemps semblé protégée contre le retour de ses vieux démons. Cette époque est révolue. Depuis 2017, le Bundestag compte près de 100 députés d’extrême droite et, le 1er septembre, celle-ci pourrait arriver en tête lors des élections régionales en Saxe et dans le Brandebourg, deux anciens Länder de l’Est où perdure, depuis la réunification de 1990, une scène néonazie décomplexée, comme le démontre cette flambée de passages à l’acte.

Angela Merkel restera sans aucun doute comme celle qui, dans une Europe frileuse et craintive, a fait le choix de l’ouverture en laissant entrer en Allemagne près d’un million de réfugiés fuyant les guerres du Moyen-Orient. Juste au regard de l’histoire, cette décision n’en a pas moins profondément bousculé une partie de ses concitoyens, qui n’y étaient pas préparés.

« Wir schaffen das » (« nous y arriverons »), avait lancé la chancelière, le 31 août 2015, pour dire son optimisme dans la capacité de l’Allemagne à relever le défi de l’intégration. Deux ans avant la fin programmée de son quatrième et dernier mandat, il est encore temps pour elle d’aller au bout de cette ambition. Et de redire une seconde fois « Wir schaffen das », mais cette fois pour triompher d’une extrême droite dont le retour, en Allemagne, a autant voire plus qu’ailleurs des raisons d’inquiéter.