Des migrants secourus par le navire de l’ONG espagnole Proactiva Open Arms, près de Lampedusa sur la côte italienne, le 15 août. / FRANCISCO GENTICO / AP

Leur poignée de main échangée, mercredi 14 août à Gênes, alors que l’Italie commémorait la catastrophe du Pont Morandi n’aura été qu’une courte trêve dans un moment d’unité nationale. Pour ceux qui en doutaient encore, le ministre de l’intérieur Matteo Salvini (Ligue, extrême droite) et le président du Conseil Giuseppe Conte (Mouvement 5 étoiles, M5S, antisystème) sont désormais à couteaux tirés. Et la journée du jeudi 15 août l’a montré de façon explicite.

L’arrivée du navire de l’ONG espagnole Proactiva Open Arms, avec à son bord 147 migrants, a accéléré la cassure entre les deux hommes. Dans la nuit de mercredi à jeudi, alors que le bateau obtenait la permission d’entrer dans les eaux italiennes suite à une autorisation du tribunal administratif du Latium, Matteo Salvini signait un nouveau décret interdisant le débarquement de ses passagers.

Quelques heures avant cette nouvelle ordonnance, Giuseppe Conte lui avait formellement demandé « de prendre d’urgence les mesures nécessaires pour assurer l’assistance et la protection des mineurs à bord du navire » – au nombre de trente-deux. Sans surprise, le ministre de l’intérieur n’a pas obtempéré, diffusant dans les médias l’idée que le reste du gouvernement Conte souhaitait la réouverture des ports.

Une position qui a irrité le président du Conseil. Dans une lettre ouverte à son ministre publiée jeudi après-midi sur Facebook, M. Conte n’a pas mâché ses mots, dénonçant « un exemple de collaboration déloyale ». Selon lui « l’immigration est une question complexe qui doit être abordée dans le cadre d’une politique globale » et ne saurait donc être traitée en faisant du bruit autour d’un bateau.

« Devenue mère Teresa de Calcutta en deux jours »

Cette nouvelle instrumentalisation d’un drame humanitaire met en lumière le nouveau rapport de force dans cette crise politique : le M5S fait désormais corps avec Giuseppe Conte contre la Ligue. Le patron de la formation antisystème, Luigi di Maio, l’a résumé sans ambiguïté ce jeudi : affirmant être « aux côtés de Giuseppe Conte [le 20 août] dans l’hémicycle pour le soutenir contre la motion de défiance de la Ligue ».

Jeudi matin, la ministre de la défense Elisabetta Trenta, a expliqué, après avoir « écouté sa conscience », son refus de signer la dernière ordonnance Salvini, précisant que la politique ne pouvait se faire sans humanité.

Depuis la Campanie où il présidait jeudi après-midi une réunion sur la sécurité publique, le ministre de l’intérieur lui a répondu, cinglant, pointant les contradictions du M5S : « Soit elle est devenue mère Teresa de Calcutta en deux jours, soit elle n’a pas compris ce qu’elle a signé jusqu’à maintenant ».

Si la rupture semble consommée entre les deux formations encore au gouvernement, le chef de la Ligue a donné l’illusion d’un dialogue encore possible, rappelant que son téléphone « restait allumé ». Pas sûr néanmoins qu’il reçoive beaucoup d’appels.

Olivier Bonnel (Rome, correspondance)

  • Six pays de l’UE prêts à accueillir une partie des 147 migrants embarqués sur le navire humanitaire « Open-Arms ». « La France, l’Allemagne, la Roumanie, le Portugal, l’Espagne et le Luxembourg viennent de m’indiquer qu’ils sont prêts à recevoir des migrants », a annoncé, jeudi, Giuseppe Conte dans une lettre ouverte adressée à Matteo Salvini. « Encore une fois, mes homologues européens nous tendent la main », s’est félicité le président du Conseil, en attaquant frontalement le ministre de l’intérieur. Dans la soirée de jeudi, l’ONG espagnole Proactiva Open Arms a annoncé sur Twitter avoir seulement été autorisée à débarquer à Lampedusa « cinq personnes pour raisons psychologiques, avec leurs accompagnants », sans préciser le nombre total de migrants concernés. L’Ocean-Viking, le navire de SOS Méditerranée et Médecins sans frontières (MSF) qui cherche aussi un port pour plus de 350 migrants, se dirigeait pour sa part jeudi vers le nord et se trouvait bien au-delà de Lampedusa et de Malte.