Le navire « Open Arms » devant Lampedusa, Italie, le 16 août 2019. / GUGLIELMO MANGIAPANE / REUTERS

Le commandant du navire de l’organisation non gouvernementale (ONG) espagnole Proactiva Open Arms, ancré à quelques centaines de mètres du port de Lampedusa, a décrit vendredi une situation explosive chez les migrants interdits de débarquer. Après l’évacuation d’une dizaine de personnes pour des soins médicaux, dans la nuit de jeudi 15 août à vendredi, 134 migrants sont toujours à bord, embarqués depuis deux semaines.

« Tout le monde est cassé psychologiquement, cette situation est devenue insoutenable », a décrit le commandant du bateau, Marc Reig, à la chaîne de télévision espagnole TVE. « A chaque seconde qui passe, le déclenchement de la bombe se rapproche. Ou quelqu’un coupe le fil rouge et désactive la bombe maintenant, ou alors l’Open Arms va exploser. (…) C’est inhumain. Nous sommes près de la terre ferme et les gens pourraient s’y rendre à la nage. Ils veulent se jeter dans l’eau. »

Six pays européens pour accueillir les migrants

Dans un Tweet, l’ONG évoque aussi des menaces de suicide exprimées par certains des passagers et exige un débarquement pour urgence humanitaire. « Je ne céderai pas », a de son côté prévenu vendredi soir dans un communiqué le ministre italien de l’intérieur, Matteo Salvini, estimant que l’ONG espagnole se « moquait du monde pour la énième fois ». Commentant l’état de santé de treize migrants évacués d’urgence du bateau, il a estimé qu’ils allaient tous bien sauf une personne souffrant d’une petite « otite ».

Pour M. Salvini, le navire Open Arms « a fait des pirouettes dans la Méditerranée pendant des jours avec pour unique but de ramasser autant de personnes que possible pour les amener toujours et seulement en Italie. (…) Pendant tout ce temps, il aurait déjà fait trois allers-retours dans un port espagnol ! Ces ONG en définitive ne livrent que des batailles politiques, sur le dos des migrants et contre notre pays », a-t-il asséné.

Le parquet d’Agrigente, en Sicile, a ouvert une enquête contre X pour séquestration de personnes, à la suite notamment de deux pétitions présentées par les avocats de l’ONG espagnole, rapporte l’agence italienne AGI. Six pays de l’UE se sont dits prêts, jeudi, à accueillir chacun une partie des migrants de l’Open Arms. « La Commission a eu des contacts intensifs au cours de la semaine écoulée et nous sommes très reconnaissants de la coopération de la France, l’Allemagne, le Luxembourg, le Portugal, la Roumanie et l’Espagne », a commenté vendredi une porte-parole de la Commission, Vanessa Rock.

Salvini affaibli

« Une situation où des personnes sont bloquées en mer pendant des jours et des semaines est intenable », a-t-elle estimé, soulignant que « toute l’Europe » devait trouver des solutions pour pouvoir faire débarquer « rapidement » les migrants secourus. L’accord européen ne concerne cependant pas les 356 migrants secourus par l’Océan Viking, le navire de SOS Méditerranée et Médecins sans frontières (MSF), qui navigue au ralenti à mi-chemin entre Malte et Lampedusa, interdit de s’approcher des eaux territoriales de chacun des deux états. « Encore une fois, mes homologues européens nous tendent la main », s’était félicité jeudi le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte, tout en critiquant vivement la « concentration obsessionnelle » de M. Salvini sur le thème de l’immigration « réduite à la formule “ports fermés”. »

« Mon obsession est de combattre tous les types de délit, y compris l’immigration clandestine », lui a rétorqué M. Salvini. « Avec moi, les ports sont et resteront fermés aux trafiquants et à leurs complices étrangers », a-t-il insisté. « Et il est clair que sans cette fermeté, l’Union européenne n’aurait jamais levé un petit doigt, laissant l’Italie et les Italiens seuls. » Le pouvoir de Matteo Salvini, chef de la Ligue (extrême droite) et vice-premier ministre, se trouve néanmoins affaibli depuis qu’il a fait voler en éclat le 8 août sa coalition gouvernementale avec le Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème).

Deux ministres issus du M5S, Satellisable Renta (défense) et Danilo Toninelli (infrastructures et transports), ont refusé, jeudi, de contresigner le dernier décret interdisant les eaux italiennes à l’Open Arms, édicté par M. Salvini après la suspension mercredi par un tribunal administratif d’un premier décret similaire. Sans ces deux signatures, le décret de M. Salvini est sans effet. Le leader d’extrême droite est crédité de 36 à 38 % dans les intentions de vote et sa ligne dure sur les migrants clandestins est l’un des facteurs de cette popularité. Mais face à son insistance pour organiser des élections au plus vite, un front politique semble en train de se former contre lui, par le biais inattendu d’une alliance entre son ex-partenaire M5S et le Parti démocrate, classé au centre gauche.

Comment Matteo Salvini est devenu l’homme fort de l’Italie
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