Un policier turc monte la garde devant le siège du Parti démocratique des peuples (HDP), à Istanbul, le 19 août 2019, lors d’une manifestation dans les rues de la ville. / OZAN KOSE / AFP

Il s’agit d’un nouveau coup dur porté à l’opposition turque. Trois maires prokurdes élus dans d’importantes villes du sud-est du pays ont été démis de leurs fonctions, accusés d’activités « terroristes », moins de cinq mois après leur élection.

Les maires HDP (Parti démocratique des peuples) de Diyarbakir, Adnan Selçuk Mizrakli ; de Mardin, Ahmet Türk ; et de Van, Bedia Özgökçe Ertan, tous trois élus le 31 mars, ont été démis de leur mandat dans la nuit de dimanche 18 à lundi 19 août. Leurs trois villes comptent respectivement plus de 820 000, 130 000 et 470 000 habitants.

Selon un communiqué diffusé par le ministère de l’intérieur, ils sont poursuivis dans plusieurs affaires, notamment pour « appartenance à une organisation terroriste » et « propagande terroriste ». Le ministère dit avoir reçu des plaintes selon lesquelles les trois maires ont « orienté les moyens de la mairie pour soutenir l’organisation terroriste, plutôt que pour couvrir les besoins locaux des citoyens ».

Accusé par le président Recep Tayyip Erdogan d’être lié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), classé « terroriste » par Ankara et ses alliés occidentaux, le HDP a fait l’objet depuis 2016 d’une forte répression, avec l’arrestation de ses coprésidents et d’élus.

Sur les 102 municipalités remportées par des maires prokurdes aux précédentes élections municipales, en 2014, 95 avaient été remplacés par des administrateurs nommés par le gouvernement. Et avant le scrutin de mars, M. Erdogan avait menacé d’avoir à nouveau recours à ce procédé. Mais le HDP accuse le gouvernement de s’en prendre à lui en raison de son opposition virulente au président Erdogan.

Appel à la mobilisation

« Tant que la volonté du peuple ne sera pas prise en compte, aucun système établi par ceux qui ont été nommés [par le gouvernement] ne sera légitime aux yeux du peuple », a dénoncé M. Mizrakli devant la mairie de Diyarbakir, placée sous haute surveillance.

M. Mizrakli a été élu à Diyarbakir, la « capitale » du sud-est à majorité kurde du pays, avec 63 % des voix, M. Türk à Mardin avec 56 % des voix et Mme Ertan à Van avec 54 % des voix. Tous trois ont pour l’heure été remplacés par les gouverneurs de leurs provinces respectives, nommés par le gouvernement, selon le ministère de l’intérieur.

Plusieurs centaines de personnes se sont réunies pour manifester devant la mairie de Diyarbakir mais ont été dispersées par des canons à eau. Deux personnes ont été légèrement blessées, selon un correspondant de l’Agence France-Presse sur place.

En avril déjà, le Haut Comité électoral (YSK) avait annulé l’élection de candidats HDP dans six districts, décidant de ne pas délivrer de mandat aux candidats qui avaient été limogés par décret-loi dans le cadre des purges menées après le putsch manqué de juillet 2016. La tentative de coup d’Etat est imputée par Ankara au prédicateur Fethullah Gülen, qui de son côté nie toute implication. Mais outre les partisans présumés les purges ont frappé de plein fouet les milieux prokurdes.

« Inacceptable »

Le HDP a dénoncé dans un communiqué un « geste clairement hostile à la volonté politique du peuple kurde » et appelé tous ceux qui se sont opposés au parti au pouvoir au moment des élections du 31 mars à se mobiliser.

Le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, appartenant au Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), a rapidement critiqué sur Twitter une pratique qui « ne peut être associée à des pratiques démocratiques ». « Ignorer la volonté du peuple est inacceptable », a-t-il insisté.

Lui-même a remporté la mairie d’Istanbul le 23 juin, après une première victoire obtenue en mars et qui avait été annulée en raison de recours déposés par le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir).

Le ministère de l’intérieur a par ailleurs annoncé sur Twitter que 418 personnes avaient été arrêtées lundi dans une vaste opération anti-PKK réalisée sur le territoire turc. Le coprésident du HDP, Sezai Temelli, a toutefois insisté au cours d’une conférence de presse à Ankara sur le fait qu’« aucun de ceux détenus n’a commis de crime ».