Chaque mois, des jeunes diplômés racontent sur Le Monde Campus leur quête de sens et leur transition professionnelle, en partenariat la communauté Paumé·e·s de l’association Makesense. Mahaut, 25 ans, passée par l’école d’ingénieurs de Purpan, a rédigé ce texte.

A la sortie de son école d’ingénieurs, Mahaut a testé divers emplois sans lien avec sa formation. Objectif : « Se connaître ». / Les Paumé·e·s / Maksense

C’était en juin 2017. Je sors diplômée de l’école d’ingénieurs de Purpan, à Toulouse. Maintenant, la vraie vie ! Celle à laquelle il faut donner un sens, paraît-il… Autour de moi, j’entendais les conseils avisés de la « génération X » : « Fais tes armes quelques années dans une boîte, prend de l’expérience, et tu feras ce que tu veux après. »

Caricature ? Toujours est-il que je n’ai pas envie d’attendre. J’ai une forte conscience écologique et je porte cette sensation ténue au fond du ventre qu’il faut agir vite et maintenant. Je sais aussi que je n’ai pas envie de patrons, d’horaires imposés, d’attendre le week-end et de passer mon temps à regarder l’heure qui ne passe pas en bas à droite de l’écran.

Seulement, je n’ai aucune idée de ce que je peux bien faire pour contribuer à changer ce monde. Je n’ai aucune idée de mes talents, une vague idée de mes points faibles. C’est le flou artistique, le vrai ! Pour y voir un peu plus clair et savoir quelles sont mes armes, j’ai décidé de prendre du temps. De tester, expérimenter des choses. De connaître une autre réalité que la vie confortable que j’ai pu avoir jusqu’ici.

Je me suis alors engagée dans deux ans de vie de « saltimbanque », faite de boulots, de rencontres, de fins de mois en négatif, de projets…

Distribuer des journaux et vendre des pâtisseries

J’ai commencé par distribuer des journaux dans les rues ou à la sortie du métro. Ce petit job m’a permis de rester active, de gagner un peu d’argent, mais aussi d’expérimenter un travail où tu n’as aucune autre reconnaissance que le sourire (ou pas) des passants. Dans ces moments-là, tu comprends que ton diplôme d’ingénieur n’est pas tatoué sur ton front.

J’ai enchaîné avec un poste de vendeuse en pâtisserie. J’avais envie de tester un métier très concret, d’expérimenter le contact client, la vente, voir si ça me plaisait… J’ai découvert un métier exigeant à la fois sur les plans physique et relationnel. Quel que soit ton niveau d’études, un client non satisfait ne te fera jamais de cadeau.

« Nous avons en chacun de nous la capacité de rendre chaque jour de notre vie extraordinaire »

Pas vraiment convaincue par mes talents en relation client, j’ai eu envie de mettre au défi mon côté solitaire en partant pendant deux mois à cheval sur les routes de France. J’ai été confrontée à certaines réalités de la France rurale. Ce voyage a été déterminant et m’a appris une chose : nous avons en chacun de nous la capacité de rendre chaque jour de notre vie extraordinaire.

Tout cela a fait naître en moi l’envie de me poser. Je décide de déménager à Nantes, avec un objectif : trouver un travail alimentaire qui me permettrait d’avoir du temps pour concevoir des projets à côté. J’ai été embauchée pour trois mois et demi en tant que responsable de rayon chez Leclerc. A 25 ans et bac + 5, je touchais 1 200 euros par mois, sans regrets.

J’ai finalement trouvé ce que je voulais faire : avec un ami, nous créons une association pour aider les étudiants à mieux comprendre le monde du travail dans lequel ils seront parachutés. J’accompagne des personnes pour qu’elles gagnent en agilité personnelle, et j’organise des événements pour la communauté Les Paumé·e·s à Nantes.

« Sortir de la route n’est pas toujours facile à assumer »

Toutes ces étapes auront été une expérience de dingue. Elles m’ont fait prendre conscience de l’exigence de certains métiers : se lever à quatre heures du matin tous les jours pour remplir un rayon de supermarché, rester des heures debout sous la pluie, se faire appeler « Michel » parce que le café est trop chaud ou pas assez fort…

J’ai vécu les réalités d’autres classes sociales de l’intérieur : j’ai traversé la France du vide, logé chez des gens qui n’ont rien d’autre qu’une bouteille de vin dans le frigo, écouté leurs récits de vie. Pendant ces deux années, j’ai été surprise par le nombre de personnes qui rêvaient d’une autre vie, qui se sentaient passer à côté de la leur.

J’ai également découvert le monde associatif et ses membres qui investissent une énergie monstrueuse pour aider, préserver, créer du lien, vaincre la solitude… Dans ce milieu, il y a beaucoup de place pour la prise d’initiatives. C’est un terrain de jeu énorme pour se confronter à soi, apprendre à se connaître, et comprendre ce que c’est que d’être porté par une énergie collective.

« Après ces deux ans de vie erratique, je suis davantage consciente de mes forces, de mes points faibles »

Après ces deux ans de vie erratique, je suis davantage consciente de mes forces, de mes points faibles et de la valeur ajoutée que je peux avoir pour la société. Et aujourd’hui, je goûte au luxe de faire ce que j’aime au quotidien. Et même si je ne vis pas encore de mes activités aujourd’hui, je ne reviendrai pas vers un emploi salarié plus traditionnel. Se construire un parcours professionnel « sur mesure », c’est aussi devoir assumer les incertitudes qui vont avec.

Ce choix de prendre le temps de me connaître, je le vis comme une vraie décision. Sortir de la route n’est pas toujours facile à assumer, que ce soit auprès de sa famille ou de ses amis. Souvent, on n’ose pas prendre ce temps de divergence, car on a peur de « perdre » une année, dans sa carrière, dans ses études. Je suis intimement convaincue que s’accorder ce droit à l’errance permet de se découvrir, de donner un vrai sens à ses actions, de gagner une sacrée paire d’années. Et d’économiser quelques burn-out !

Le Monde Campus et la communauté Paumé·e·s de Makesense s’associent pour faire témoigner, chaque mois, des jeunes sur la quête de sens et leur transition professionnelle.