Sur l’île de Grande Canarie, le 19 août 2019. / DESIREE MARTIN / AFP

Plus de 12 000 hectares calcinés, 10 000 personnes évacuées. Depuis samedi 17 août, l’île espagnole de Grande Canarie, au large du Sahara occidental, est ravagée par un violent incendie, le plus important qu’a connu l’Espagne depuis 2013.

Grâce à l’affaiblissement du vent et à une légère baisse des températures, la progression de l’incendie, qui est loin d’être maîtrisé, a ralenti, ont annoncé, mardi 20 août, les autorités régionales. « La zone est très dévastée, mais nous pensons que la situation devrait se stabiliser dans les prochains jours, nous sommes relativement optimistes », a déclaré la ministre de la défense, Margarita Robles, après avoir survolé le sinistre.

Alors que le président (socialiste) des Canaries, Angel Victor Torres, redoutait un « drame environnemental », le bilan pourrait être moins lourd que prévu. « L’impact sur le parc naturel de Tamadaba [2 000 hectares de pinèdes et 7 500 hectares protégés de ravins et de massifs s’élevant jusqu’à 1 400 mètres d’altitude] a été moindre que ce que nous craignions au départ, [le feu] n’a pas non plus atteint la réserve naturelle intégrale d’Inagua », a précisé Antonio Morales, l’un des responsables de la région.

Les flammes qui, à certains endroits, ont atteint 50 mètres de haut, ont pénétré par le versant est du parc, une zone de pins plutôt jeunes, plantés au siècle dernier. Dans le reste de Tamadaba, « le feu a été plus superficiel, moins destructeur », a assuré M. Morales.

Pétition pour des hydravions

Aucune victime n’est à déplorer. Certaines des personnes évacuées ont commencé à rentrer chez elles mardi soir. Le secteur du tourisme, principal moteur économique de l’archipel, n’a pas été affecté. Le gouvernement régional a tenu à souligner dans un communiqué qu’« aucun complexe touristique n’a ressenti » les effets du feu. L’intérieur de Grande Canarie, aux paysages et microclimats très divers, est prisé des randonneurs, mais la majorité des touristes préfère les plages.

Un millier de pompiers sont mobilisés sur le terrain, ainsi qu’une quinzaine de moyens aériens. Pour de nombreux habitants de Grande Canarie, ces efforts ponctuels sont cependant insuffisants. Depuis le début de l’incendie, plus de 200 000 personnes ont signé une pétition sur le site Internet Change.org demandant la création d’une base permanente d’hydravions sur l’archipel, afin de ne passe trouver dans l’attente d’appareils venant de la péninsule, comme cela a encore été le cas.

« Notre territoire est très fragmenté [l’archipel des Canaries est composé de sept îles principales et d’une demi-douzaine d’îles secondaires] avec des zones très difficiles d’accès par voie terrestre », est-il précisé dans la pétition relayée par M. Torres.

« On peut voir la fumée de tous les coins de l’île », raconte Noelia Sanchez, porte-parole de l’organisation Ecologistas en Accion (« écologistes en action ») basée à Grande Canarie, qui dénonce des programmes de prévention insuffisants. « Nous n’avons rien appris des feux qui ont dévasté les îles ces dernières années », affirme la militante, notamment ceux de La Palma, en 2016 (presque 5 000 hectares calcinés), et de La Gomera, en 2012 (4 100 hectares brûlés, soit 11 % de l’île).

« Nous sommes fatigués de répéter la même chose depuis 2007 », ajoute Mme Sanchez – en cette annus horribilis pour l’archipel, des incendies sur trois de ses îles, Grande Canarie, Tenerife et La Gomera, brûlèrent plus de 37 000 hectares.

« Les paysages sont devenus des décors de photo, poursuit l’écologiste. On oublie qu’il faut en assurer la survie. L’agriculture est en recul, les terres ne sont plus entretenues, ce qui augmente les risques d’incendie. C’est aux autorités d’assurer le débroussaillage des parcelles, mais elles ne se donnent pas les moyens de le faire. »

José Ramon Arevalo, directeur du département de botanique de l’université de san Cristobal de La Laguna, à Tenerife, expert en écologie du feu qui connaît bien le parc naturel de Tamadaba, reste cependant relativement optimiste : « Le pin des Canaries, qui peuple toute cette zone, est très résilient, il récupère assez vite des incendies. »

« Le pinson bleu est revenu »

Inagua, un réservoir de biodiversité ayant échappé de justesse aux flammes, « a entièrement brûlé en 2007 », se souvient le botaniste. « A l’époque, nous étions très pessimistes ; depuis, tout a repoussé, ajoute-t-il. Le pinson bleu [un oiseau endémique des Canaries, dont il ne reste qu’un peu plus de 400 spécimens] semblait avoir disparu, mais il est lui aussi revenu. »

Le parc de Tamadaba n’a subi aucun incendie depuis 1988, « ce qui est très long dans le cycle naturel de ce genre de forêt », explique M. Arevalo. « Paradoxalement, en protégeant ces espaces, nous créons les conditions propices aux mégafeux, poursuit-il. En effet, au bout d’une vingtaine d’années, une grande quantité de biomasse s’accumule. C’est elle qui contribue à alimenter des incendies comme celui que nous vivons et qui deviennent tout de suite incontrôlables. »

L’écologiste Noelia Sanchez évoque, elle, « une situation d’urgence climatique aggravée par des phénomènes tels que celui-ci. Les grands incendies de forêt produisent une libération massive de CO2 dans l’atmosphère et accélèrent le processus de désertification et de dégradation des sols et des ressources en eau. L’impact de ce feu sur le paysage, la flore et la faune est très préoccupant ».

L’Espagne est l’un des pays de l’Union européenne où se produit le plus grand nombre d’incendies de forêt. Depuis le début de cette année, plus de 57 000 hectares ont brûlé. En 2012, année record, plus de 218 956 hectares avaient été victimes des flammes, selon Greenpeace.